Rue de Grenelle, des idées reçues aux idées rassies

In Actualités nationales, Billets d’humeur, Lettre d'info by FA FPT NA

La météo régionale n’a rien de réjouissant, et inutile de chercher au niveau national quelque rayon de soleil. Notre nouveau ministre, qui n’a peut-être pas eu le temps de développer ses propres idées, se contente pour le moment de ressortir celles de ses prédécesseurs, y compris les plus douteuses. Y’a qu’à imposer des jours de carence supplémentaires, y’a qu’à généraliser la rémunération au mérite, y’a qu’à casser les catégories, y’a qu’à pouvoir licencier davantage d’agents publics.

Vous aurez noté : pas un mot sur le service public. Rien sur les missions. Silence complet sur les réponses aux attentes et aux besoins des citoyens. Dès qu’on touche à l’essentiel, nos grands décideurs se taisent, leur grande source d’idées se tarit. Par contre, dès qu’il s’agit de mesures punitives, alors là, ça fuse, ça pétille, les idées reçues et les idées rassies jaillissent en pagaille.

Prenons par exemple les dernières déclarations de notre ministre de tutelle.

Comme son prédécesseur, il veut supprimer les catégories de la fonction publique. Constatant qu’aujourd’hui de nombreux agents publics sont plus diplômés que le niveau requis par les concours qu’ils ont passés, il ne voit pas de meilleure solution que de supprimer le système de catégories. Comme ça, hop, les agents sont « libérés » du carcan catégoriel et pourront (on le suppose) être rémunérés en fonction de leurs qualifications. Ah, la belle idée que voilà ! Sauf que non, en fait, pas du tout. Certes, la catégorie détermine la rémunération. Et c’est vrai, on a plein d’agents plus diplômés que leur emploi ne l’exigerait. Déjà, la valeur des agents dépasse de loin celle de leur diplôme. Mais surtout, est-ce qu’on peut vraiment croire que si demain, dans un système « dé-catégorisé » un employeur territorial constate que tous les membres d’une équipe d’agents d’entretien ou tous les gestionnaires d’un service ont bac+5, il va se dépêcher de les rémunérer comme des attachés ou des ingénieurs territoriaux ? Sûrement pas. Il sera bien content de leur confier des tâches plus complexes pour le même prix, voilà tout.

En cassant la catégorie, on aura juste retiré aux agents les protections liées au statut (le socle du traitement indiciaire, les missions qui s’attachent au cadre d’emplois, le mécanisme de progression de carrière). En échange, ils auront droit à un système où ca sera au petit bonheur la chance, en fonction de ce que l’employeur pourra – et voudra bien – payer. Il suffit de regarder ce qui se passe ici à la Région. On sait qu’on a des collègues de catégorie C qui non seulement ont les diplômes pour être B mais se voient confier par la collectivité elle-même des missions de catégorie B. Et pourtant chaque fois que la FA le pointe du doigt et interpelle la Région pour que ces agents soient promus sur poste la Région renâcle. Pourquoi donc, hein, selon vous ?

Autre Fausse Bonne Idée brandie par l’actuel locataire de la rue de Grenelle, généraliser la rémunération au mérite. Encore une fois, dans un monde théorique et donc forcément idéal, ça pourrait sembler pas mal et même assez juste : on va récompenser ceux qui triment. C’est comme ça que les éléments de langage nous le vantent : à chacun selon la part qu’il (ou elle) a pris dans l’oeuvre commune. Sauf que là encore, ça ne marchera pas du tout comme cela. D’abord parce que globalement tous les agents publics triment – ne le dites pas trop fort, ça ferait un choc au ministre. Ensuite parce que la rému au mérite n’est jamais vraiment basée sur le mérite. Hé non. Parce qu’il y a toujours la question de la visibilité des missions. Vous avez fait du bon boulot et ça s’est vu ? Super, voici votre prime. Vous avez accompli l’impossible et personne ne s’en est rendu compte parce que vous n’apparaissez pas sur le radar des décideurs de la prime ou qu’ils ne comprennent pas ce que vous faites ? Ah mince, pas de bol mon vieux, meilleure chance l’an prochain. Mettre les agents en compétition pour un plus gros susucre, ça n’a juste aucun sens mais ça plait à l’école libérale.

D’ailleurs pour que ça marche, il faudrait que l’employeur ait les moyens financiers pour ! Car pendant qu’on nous agite sous le nez la super-chouette idée que « les agents bosseurs auront un plus gros morceau du gâteau salarial », on évite de nous parler de la vraie question : la taille du gâteau. Et de ce côté là, entre plans d’austérité et budgets révisés, on voit mal comment on pourrait réellement valoriser l’engagement dont les agents font déjà preuve. Pour vous donner une petite idée des absurdités auxquelles on arrive quand d’un côté on veut afficher qu’on valorise le mérite et que de l’autre on a un budget prime qui ne bouge pas, voici comment certains organismes publics procédaient. Chaque année au sein des équipes il y avait une limite au nombre d’agents pouvant être trouvés méritants et toucher une prime. Et pour compenser, il y avait un nombre d’agents qui devaient être trouvés « insuffisants » et ne pas toucher de bonus. Mais ça n’avait rien à voir avec la réalité de leur travail ! Il s’agissait juste d’appliquer la mesure de gestion financière. Du coup d’une année sur l’autre un roulement s’était établi : « cette année c’est à ton tour d’être insuffisant et l’an prochain ce sera Gérard ». Vous imaginez l’effet sur la motivation des équipes. La rému au mérite sans moyens financiers, cherchez pas, c’est ça.

Tout juste recrachée de la fontaine à idées ministérielle, cette autre perle : le licenciement des fonctionnaires en cas d’insuffisance professionnelle. Voilà un sujet que le Ministre entend « mettre à la concertation avec les organisations syndicales« , parce que c’est « un sujet qui n’est pas tabou et qu’on doit aussi discuter dans le cadre du dialogue social » et que notre Ministre « ne veut pas mettre les sujets sous le tapis« . Au passage, la façon dont Guillaume Kasbarian met en scène ses déclarations, comme s’il s’agissait d’actes de bravoure est assez ridicule. Quel courage, ce Ministre ! Il va « mettre à la concertation » un truc qui existe déjà dans le Code Général de la Fonction Publique. On lui recommande d’ailleurs de le feuilleter, ça peut parfois être utile dans son job. C’est donc clair; ce qu’il veut ce n’est pas briser un « tabou » qui n’existe pas, c’est le permis de licencier à tours de bras. Pourquoi ne pas dire franchement : « En tant que Ministre de la Fonction Publique j’exige qu’on licencie plus d’agents, pour des motifs plus vagues, avec moins de garanties pour leur défense, et voire même moins d’indemnités » ? Ca, au moins, ça serait plus clair – et Boris Ravignon l’a déjà pratiquement fait dans son rapport, voici quelques mois.

Et puis bien sûr il y a l’habituelle ritournelle sur les jours de carence des agents publics qu’il serait urgent d’augmenter. Heureusement, le Ministre veille ! La preuve, il a détecté « une dérive du nombre de jours d’absence et notamment dans la fonction publique », et que « la moyenne de jours d’absence par agent est passée à 14,5, alors qu’il y a quelques années on était à 8 ». Ah ces bougres de fainéants, toujours malades, ils vont voir un peu de quel bois Kasba se chauffe ! La théorie, c’est que si on punit un malade, il guérit. La menace sur le salaire maintiendrait les gens en bonne santé. Faut avouer que c’est novateur, comme thérapie. On n’a pas encore testé sur le cancer et les maladies cardio-vasculaires, mais on sent qu’il y a du Prix Nobel de Médecine dans l’air, là.

Mais hé, puisqu’on est dans les idées novatrices et audacieuses : et si l’âge avait comme qui dirait un lien avec l’état de santé, et l’état de santé avec les arrêts maladie, hein dites, M’sieur le Ministre ? Et si, en reculant l’âge de la retraite et en décourageant les carrières publiques, on provoquait le vieillissement des administration avec son cortège de problèmes de santé ? Le Dr Kasbarian, s’il n’est pas convaincu, peut aller jeter un oeil dans les lycées, où s’accumulent les restrictions médicales par suite d’usure professionnelle…

Nous, on n’est pas docteurs, bien sûr. Mais puisqu’on peut être Ministre de la Fonction Publique sans jamais y avoir mis les pieds, pas de raison qu’on se sente incompétents sur le sujet. Monsieur le Ministre, si vous voulez vraiment faire baisser le nombre d’arrêts maladie dans les services publics, que diriez-vous de faire en sorte que tous les postes nécessaires soient créés et pourvus, comme la FA-FP et tous les syndicats le demandent ? Que les moyens techniques soient modernisés pour que les postes usent moins les gens ? Que les effectifs soient renouvelés ? Que l’âge de la retraite cesse d’être reculé ?

Aaaaah c’est marrant hein ? Dès que c’est plus compliqué que de laisser entendre que les agents publics sont des fainéants qui décrochent des arrêts de complaisance, y’a plus grand monde…