Rock the Kasba

In Actualités nationales, Billets d’humeur, Lettre d'info by FA FPT NA

Donc, depuis quelques semaines, nous avons un nouveau ministre de tutelle. Succédant à Stanislas Guérini, c’est Guillaume Kasbarian qui a été nommé rue de Grenelle. Et avec des missions élargies, on est priés de le croire, puisqu’on a rajouté à l’intitulé déjà assez long de Stan le terme de « simplification ». C’est donc avec une ironie cruellement involontaire que notre nouvel interlocuteur est très officiellement Ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’Action publique. Il tient déjà, à notre avis, une occasion en or de simplification et de transformation, en abrégeant le nom de son ministère.

En dehors des plaisanteries faciles que permet l’empilement des intitulés ministériels, cet intitulé mérite qu’on s’y arrête quelques minutes, pour deux raisons. D’abord, il est assez symbolique d’une certaine forme de vanité officielle, comme si l’importance des missions se mesurait au nombre de concepts qu’on arrive à faire tenir sur sa carte de visite. Si vos représentants du personnel suivaient la même logique, nous serions Représentants du Personnel délégués au Dialogue Social et aux Relations entre les Salariés et l’Employeur et à la Défense des Droits et aux Négociations. On serait surtout ridicules – mais il est vrai que nous ne sommes pas ministres, et qu’on a tendance à penser que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », comme disait Boileau (qui aurait les yeux qui piquent s’il lisait la liste des ministères.

Mais ce rajout perpétuel de mots et de concepts nous apprend aussi quelque chose sur l’idée que se fait un Ministre du service public et de celles et ceux qui l’incarnent. Par exemple, si l’on crée un Ministère de la Fonction Publique et de l’Action Publique, c’est qu’on part de l’idée qu’il s’agit bien de deux choses différentes, comme si la Fonction Publique pouvait par exemple fonctionner tout en étant inactive. Si on rajoute à cela un objectif de transformation, c’est qu’on voit le service public comme incapable d’évoluer naturellement. Avec la « simplification », cerise sur le gâteau, le service public, c’est trooooop compliqué. Dans l’imaginaire ministériel, la Fonction Publique, ce serait donc une sorte de monstre préhistorique, qui dort la plupart du temps et qui est incapable de se faire comprendre quand il se réveille.

Ceci explique peut-être pourquoi on choisit pour occuper la rue de Grenelle des profils de plus en plus éloignés du service public. Avant de trébucher dans le chaudron de la Fonction Publique, Amélie de Montchalin consultait et faisait du lobbying pour les assurances. Stanislas Guérini, lui, consultait et vendait des panneaux solaires. Sans surprise, Guillaume Kasbarian, s’est lui aussi tenu jusqu’ici à distance prudente de la chose publique : avant d’être ministre, il consultait, comme nous l’apprend le site de son ministère, « pour diverses industries ». On consulte beaucoup chez nos ministres.

Soucieux peut-être de montrer à l’animal fantastique qui c’est qui commande ici, M. Kasbarian a choisi d’inaugurer sa prise de fonctions par quelques déclarations assez rock and roll aux média Il se propose ainsi de « libérer les Français du poids des démarches administratives« , et pour cela de « débureaucratiser à tous les étages« . Et au cas où la bestiole publique ferait de la résistance il a tenu à rappeler que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (on ignore encore si ça s’applique aux Ministres). Un peu effrayé peut-être par son audace alors qu’il se tenait dans l’antre de la bête, le nouveau Ministre a précisé qu’il voulait « faciliter la vie des Français et des agents publics » qui ont « dans certains cas l’impression d’être enfermés dans un labyrinthe bureaucratique ». Ne cherchez plus, on a trouvé : la Fonction Publique, ce monstre légendaire, c’est le Minotaure. Assoupi dans son labyrinthe, il écrase les pauvres gens sous un tas de bureaux pesants et de règlements compliqués.

Tout cela s’annonce donc très, très sympa, et nous promet de chouettes moments. Jusqu’au prochain Ministre en tous cas !