C’est l’histoire d’un ministre de la Fonction Publique qui après avoir expliqué partout que les fonctionnaires sont de plus en plus absents se voit contredit par un rapport officiel de son propre ministère. Voici quelques semaines, alors que Guillaume Kasbarian battait l’estrade en répétant qu’il fallait combattre l’absentéisme grandissant (et présumé injustifié, voire frauduleux) des fonctionnaires, le Ministère de la Fonction Publique et de la Transformation et de la Simplification de l’Action Publique et de (ah non tiens, pour le moment c’est tout) a publié son très officiel rapport annuel sur la Fonction Publique 2023.
On apprend des choses intéressantes, dans ce rapport, et qui ne viennent pas trop consolider les déclarations du Ministre, c’est ballot. On y apprend par exemple que l’absentéisme dans la Fonction Publique a diminué l’an dernier. Et de façon plutôt sensible puisque le nombre de jours d’absence par agent et par an est passé de 14,2 en 2022 à 12. Cela reste un peu supérieur au nombre de jours du privé, qui eux aussi ont vu diminuer leur absentéisme, passant de 11.7 jours en 2022 à 10,3 jours en 2023. Voilà qui ne va pas dans le sens des déclarations du Ministre, qui aime à dépeindre les agents publics comme pris dans une spirale infernale du « toujours moins de travail ».
« Mais attendez un peu », pourrait nous dire le Ministre en tortillant sa moustache, « regardez mes chiffres, sacré nom, ils montrent bien que les agents du public sont davantage absents que les salariés du privé ! Ah-ha, là je vous tiens mes gaillards ! ».
Sauf que « Ah-ha rien du tout, m’sieur le Ministre », pourrions-nous lui répondre. « Et quant à tenir quelque chose… que tchi ! ». C’est qu’à la FA-FPT nous aussi on aime bien regarder les chiffres, et notamment ceux produits par le ministère de la Fonction Publique Et cetera. Car dès qu’on creuse un peu, c’est plus difficile de nous jouer la petite musique libérale des « fonctionnaires toujours malades ».
Un coup d’œil aux chiffres de la composition des personnels de la Fonction Publique montre ainsi que le secteur public compte dans ses rangs plus de femmes que le secteur privé, et que l’âge des agents publics (femmes et hommes confondus) est plus élevé que celui des salariés du privé. Du coup, difficile de se scandaliser que, par exemple, l’absentéisme féminin, pèse forcément plus lourd dans une Fonction Publique qui emploie 63% de femmes (chiffre 2023 du Ministère) que dans le secteur privé qui n’en emploie que 44% (chiffre 2023 de l’URSSAF). Surtout qu’on le rappelle, les femmes du public sont (comme leurs collègues masculins) plus âgées en moyenne que leurs homologues du privé. Si on regarde l’absentéisme masculin, on voit on est à 9,6 jours d’absence/an pour les agents publics pour raison de santé, et 9,1 pour les salariés du privé. L’écart n’est pas franchement étourdissant. Sans compter qu’il est sans doute largement explicable par l’âge. C’est qu’on le redit, ils sont plus vieux, les agents publics, et pas qu’un peu. Le ratio entre personnels de 50 ans et plus et ceux de moins de 30 ans est près de 2 fois plus élevé que dans le privé. Un agent sur 11 dans la Fonction Publique Territoriale a 60 ans ou plus.
Et comme chacun.e le sait déjà (ou le découvrira d’ici quelques années, désolés si on vous gâche la surprise) plus on avance en âge et plus les pépins de santé, petits et grands, se font fréquents. C’est une chose que même un jeune ministre devrait comprendre, surtout s’il a été formé par une école supérieure de sciences économiques et commerciales : le sexe et l’âge des gens jouent sur leurs risques de santé et donc sur leurs arrêts maladie.
Les comparaisons public-privé, émoustillent toujours les amateurs de fonctionnaire-bashing, mais résistent rarement à l’analyse. Déjà, ça paraît évident, mais, ni le « privé » ni le « public » ne sont des ensembles homogènes. Les deux regroupent des emplois radicalement différents les uns des autres. Regardez simplement à la Région : on a des gestionnaires financiers, et des agents qui font la plonge. Des informaticiens et des menuisiers. Des cartographes et des chauffeurs. Des chargés de com’ et des agents de maintenance. Il est évident que tous ces collègues ne sont pas exposés aux mêmes risques dans l’exercice de leur métier. Ils ne s’exposent pas aux mêmes accidents du travail et ne risquent pas les mêmes maladies professionnelles. Partant de là, ils n’auront pas les mêmes absences pour raison de santé.
Ca alors ! Le métier des gens influerait aussi sur leur état de santé, qui jouerait à son tour sur les arrêts de travail ? Saperlipopette, ça aussi, faudrait le mettre au programme des écoles de sciences économiques ! Ca pourrait servir…
Dans la vie réelle, chacun.e comprend que l’infirmière de l’hôpital public, le chauffeur ou l’ouvrier cantonnier n’ont pas les mêmes pépins de santé que le secrétaire de mairie, l’assistante maternelle ou la cadre de Préfecture. Un chiffre au hasard : les agents du personnel hospitalier public sont en moyenne absents 14 jours/an pour raison de santé, quand les fonctionnaires d’Etat le sont moins de 9 jours. Personne de sensé ne conclurait de cette comparaison que les soignants du public sont des tire-au-flanc. Mais pour un Ministre, ça se tente… Vous imaginez le tollé si la Région faisait pareil, si elle opposait l’absentéisme des agents des lycées à celui des agents du siège, en laissant entendre que c’est louche ? Mais elle ne le fait pas – et certainement ne le fera jamais – tout simplement parce que ce serait 1) absurde et 2) irresponsable, et que la collectivité le sait.
Mais puisque rue de Grenelle on aime les comparaisons public-privé, alors faisons-nous plaisir, nous aussi, avec quelques chiffres tirés de ce rapport sur l’état de la Fonction Publique. Parions d’ailleurs que le Ministre ne mettra pas souvent en avant ces chiffres, pourtant sortis de la meilleure source officielle ! Par exemple :
- l’absentéisme des salariés du privé est 10,7% plus élevé que celui des enseignants du public (10,3 jours contre 9,3) et même 18.5 % plus haut que celui des fonctionnaires d’Etat non-enseignants (8,4 jours) ;
- la durée moyenne du travail a augmenté en 2023 pour les agents de tous les versants de la Fonction Publique alors que celle des salariés du privé a légèrement diminué ;
- le nombre de congés payés et JRTT ou jours de Compte Epargne Temps pris par les agents du public a diminué en 2023 alors que dans le privé il est resté stable,
- d’après une enquête INSEE menée en 2023 et portant sur une période de 4 semaines de référence, les agents publics ont été plus nombreux que les salariés privés à avoir travaillé le samedi, le dimanche ou la nuit,
- le salaire net mensuel moyen des agents publics en 2022 est inférieur d’une centaine d’euros à celui des salariés du privé, tout en étant moins dispersé entre faibles salaires et salaires élevés : ainsi, dans les 10% des salaires les moins élevés, on est mieux payé dans le public (de 8 à 10%) tandis que dans les 10% des salaires publics les plus hauts on l’est mieux dans le privé (où le salaire moyen est supérieur de 28%) ;
- les écarts de salaires entre les femmes et les hommes sont 40% plus forts dans le privé (14%) que dans le public (10,5%) pour un équivalent temps plein.
Vous imaginez les déclarations de fou qu’on pourrait faire avec ces chiffres là, si on était des affreux ! Mais bon, nous, à la FA-FPT on n’est pas là pour opposer salariés et fonctionnaires, merci bien. On préfère de loin travailler pour faire en sorte qu’il reste dans ce pays un service public au service de la population, sans distinction de statut. C’est plus difficile, c’est moins bien payé, mais c’est carrément plus utile ! C’est sûrement pour ça qu’on n’est pas près d’être Ministres, tiens…