« Ils sont méchants ces règlements, il est mignon m’sieur Ravignon… » *

In Actualités nationales, Billets d’humeur by FA FPT NA

En mai dernier, dans une relative discrétion, Boris Ravignon, Maire de Charleville-Mézières et Président d’Ardennes Métropole, a rendu au Gouvernement un rapport dont il était chargé sur « les coûts des normes et de l’enchevêtrement des compétences entre l’État et les collectivités » et qui désormais porte son nom. Sur la mécanique de ces rapports, rien de surprenant. Chaque année, le Gouvernement passe commande de rapports aux parlementaires et aux élus locaux sur des sujets allant du « quick commerce » à « l’alimentation étudiante », en passant par « les conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières ». Le plus souvent, et en dehors de la publicité que leur publication apporte brièvement à leurs auteurs et autrices, ces rapports finissent dans les armoires ministérielles. Leur principal objectif est de susciter, l’espace d’un moment, un débat parlementaire – ce que le rapport Ravignon devrait arriver à faire sans peine, compte tenu des trouvailles qu’on y déniche.

Côté gouvernement, déjà, le rapport risquait de faire grincer quelques dents. Alors que la ritournelle officielle est constante : « les collectivités territoriales creusent la dette nationale« , le rapport Ravignon pose au contraire en principe que les finances locales sont maîtrisées, et que leur principal souci tient aux transferts de compétences à répétition auxquelles l’Etat s’est livré. Pour nous qui avons vécu ces transferts du point de vue de la Région, on ne sera pas surpris.

Du côté des élus locaux, le rapport a aussi de quoi hérisser quelques plumages. Son auteur, en effet, plaide pour une véritable spécialisation des collectivités, afin d’en finir avec les compétences partagées et les financements croisés. C’est un débat qui ressurgit à chaque nouvel « acte » de la décentralisation, et qui en général ne mène pas bien loin car sur nombre de compétences personne n’a vraiment envie de se dessaisir.

Mais pécadilles que tout cela ! Car là où le rapport Ravignon se lâche, c’est dans ses pages consacrées aux enjeux de ressources humaines. Et là, les idées fusent ! Pour commencer, le rapport ne propose rien de moins que de dynamiter le point d’indice en lui donnant une valeur différente pour l’Etat/l’Hospitalière et pour la Territoriale ! L’idée semble être qu’ainsi les collectivités cesseraient d’être obligées de répercuter sur leurs agents les éventuelles revalorisations nationales. Et puisqu’on part de l’idée qu’il y aurait des points d’indice différents, pourquoi, se demande M. Ravignon, ne pas confier aux associations d’employeurs territoriaux la charge de fixer elles-mêmes de la valeur du « point territorial » applicable à toute la FPT ?

L’avenir, selon le rapport Ravignon, le voilà : l’éclatement salarial de la Fonction Publique, la désolidarisation de ses différents versants. Comme on voit assez mal les employeurs territoriaux se positionner au-delà de la valeur du point pour l’Etat – ou même maintenir la parité – la FPT sauce Ravignon pourrait vite conforter voir creuser ses airs de Fonction Publique du pauvre. Par son contrôle accru sur les ressources des collectivités, l’Etat pourrait dans ce scénario les forcer à diminuer la valeur du point : pour Bercy, voilà des économies en tiroir qui se présentent avec le bonus qu’en cas de colère sociale, c’est le Maire ou le Président qui se prendront tout de plein fouet. Côté Etat, ça c’est du gagnant-gagnant !

Toujours côté salaire, le rapport propose aussi de simplifier la NBI en la transformant en prime.

La NBI c’est si compliqué (vous pensez, y’a des décrets à appliquer, quelle plaie !) alors qu’une prime c’est plus facile… à modifier. Et puis comme l’indemnitaire ne compte pas dans le calcul des retraites, c’est bien mieux que ces fichus points d’indice, sûrement. Notons qu’ici, le rapport Ravignon manque un peu d’imagination. A la FA-FPT, on connaît une collectivité (pas loin) qui a trouvé plus simple : quand c’est trop coûteux ou trop compliqué d’appliquer le décret NBI tel qu’il est écrit, on le « complète » par des conditions maison que le législateur, ce grand distrait, avait sûrement oubliées de mettre lui-même.

Le rapport poursuit sur sa lancée en s’attaquant à la gestion des personnels, et en particulier les sanctions disciplinaires. Le problème, selon le rapport Ravignon, c’est que les collectivités sanctionnent trop peu de fonctionnaires et n’en licencient pas assez. Et pourquoi cela ? Mais parce que c’est trop compliqué voyons !

Afin de libérer les sanctions et les licenciements, le rapport propose comme de juste de simplifier les procédures. Pourquoi par exemple s’embêter à convoquer un conseil disciplinaire ? Ca prend trop de temps ! Il suffirait – selon le rapport – de redistribuer les sanctions entre les différents groupes pour pouvoir prononcer des exclusions de 15 jours sans avoir à réunir de conseil de discipline. Ou de décréter que seules les sanctions du 3ème groupe nécessiteront à l’avenir une décision dudit conseil. Et puis on pourrait aussi, en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle se passer du conseil de discipline, la CAP suffira bien… Ayons une pensée pour tous nos collègues de Charleville-Mézières, qui doivent vraiment bénéficier d’un super climat social

En plus, cerise sur le gâteau : le rapport propose que même en cas de vice de procédure dans une révocation de fonctionnaire, l’employeur ne soit pas obligé de réintégrer l’agent (bon, sauf si un juge administratif le demande vraiment, allez). S’il y a un vice de procédure, hé ben l’agent restera révoqué et l’employeur lui versera compensation, voilà tout. « Désolé pour votre carrière, mon vieux, voilà votre indemnité de vice de procédure ». A nouveau la question se pose : d’où ils ont besoin de trucs pareils, à Charleville-Mézières ?

Côté santé au travail, le rapport suggère qu’il y ait moins de visites médicales obligatoires (une tous les 10 ou 15 ans, pensez, est-ce bien nécessaire ?) et de laisser de côté ces histoires de conseil médical. La médecine du travail (s’il y en a) assumerait ainsi toute seule les responsabilités sur tous les cas d’inaptitude. Enfin, côté recrutement, le rapport Ravignon trouve également qu’il faut alléger le contrôle de légalité sur les recrutements de contractuels (hors Cabinet et postes de directions/postes fonctionnels). N’allons pas embêter Monsieur le Préfet avec tout ça. On sera justes, le rapport propose aussi des vraies simplifications qui font davantage sens.

Mais quels sont les objectifs poursuivis par le rapport Ravignon ? En premier lieu, il s’agit, d’après ses auteurs, de « responsabiliser les collectivités employeuses« . On espère que les Exécutifs locaux apprécieront, ils viennent de se faire taxer en creux de joyeux irresponsables. Espérons aussi qu’ils seront enthousiastes à l’idée d’être à l’avenir désignés comme cibles uniques des enjeux salariaux dans la FPT alors que leurs moyens financiers resteront sous le contrôle de l’Etat.

Mais ce n’est pas tout, car en plus de la « responsabilisation », le rapport Ravignon promet aussi des économies basées sur l’efficience – tout en restant assez discret sur leur méthode de calcul.

Voyons un peu ces impacts budgétaires : le rapport mentionne une économie de 200 M€/an si on retient l’option « Gain d’efficience 10% », ou 102 M€/an si on joue petit bras avec un gain de 5%. On voit assez mal le lien entre les mesures évoquées et le « gain d’efficience » promis. Une collectivité sera-t-elle 10% plus efficiente si elle licencie plus de fonctionnaires et recrute plus de contractuels ? L’efficience sera-t-elle liée à la stagnation du point d’indice territorial (auquel cas, on a dû gagner beaucoup d’efficience dans les années 2000) ? Le gain d’efficience générateur d’économies sera-t-il uniquement lié à la spécialisation des collectivités (mais alors à quoi servira le reste des mesures proposées) ? Mais s’il s’agit des économies globales à l’échelle de la France entière, 200 millions divisés par 36 000 collectivités, cela fait… 5 555 €/an d’économies. Soit moins, probablement, que le coût du goûter annuel des seniors de la ville de Charleville Mézières. Haut les cœurs, les comptes publics sont sauvés.

Il ne reste plus qu’à espérer que ce rapport finira comme d’autres sous un pied d’armoire et que le ou la futur.e Ministre de la Fonction publique ne le retrouvera pas . Mais soyons vigilants, à la FA-FPT nous sommes bien conscients que les gouvernements se succèdent et que si l’imagination n’est pas au pouvoir, certains n’en manquent pas dès qu’il s’agit d’attaquer, chaque fois plus fortement, le statut des fonctionnaires.

* Toute ressemblance avec une chansonnette du « Dîner de Cons » serait vraiment un coup de pas de bol.